Le Père Philippe écrit dans son livre, Le Père Jacques, Martyr de la Charité, 1947, p. 333 :
« La journée commençait dans le calme. Les classes suivaient leur train, avec le charme un peu monotone que confère l’habitude à tout ce qu’elle touche. (…) soudain, dans le couloir retentit un bruit de bottes. On entend les portes claquer, se fermer brusquement. Les Allemands sont là. »
Nous pourrions poursuivre la lecture de ces pages qui racontent la journée du 15 janvier au Petit Collège, mais nous y passerions le temps qui nous est imparti.
Lors de ce samedi 15 janvier 1944, les Allemands ont lancé une opération de police, en trois temps, à Avon et Fontainebleau.
Vers 9h30, c’est à la mairie d’Avon que l’opération commence. Paul Mathéry, le secrétaire de mairie, est à son bureau en train d’ouvrir son courrier lorsqu’un Allemand, probablement Korf, de la Gestapo de Melun, entre et lui dit « Je regrette, mais je viens vous arrêter. » (Maryvonne Braunschweig et Bernard Gidel, Les déportés d’Avon, p.34-35)
Entre 10h et 10h30, c’est au tour du Petit Collège, d’être encerclé par des soldats allemands, des agents de la Gestapo interviennent dans trois classes pour arrêter les trois élèves juifs. Dans l’une des trois classes, le Père Jacques est en train de donner un cours de français ; on lui demande de sortir pour l’arrêter dans le couloir.
Le Père Philippe écrit : « Une dénonciation circonstanciée avait révélé à la Gestapo les noms des enfants, le plan et l’horaire du collège. » (p. 333)
Les Allemands fouillent le Petit Collège, mais pas le couvent, à la recherche d’autres juifs.
En effet, Il y avait un autre juif au Petit Collège, ce jour-là, mais ils l’ignoraient probablement. Maurice Bas n’était pas élève, il travaillait dans l’établissement en rendant divers services, à la cuisine notamment. Il va sauver sa vie grâce à la complicité du Père André, le sous-directeur, de certains professeurs et élèves qui l’aident à se cacher puis à s’enfuir par le jardin du couvent. Maurice Bas est revenu, 42 ans après, sur les lieux et il se rappelait bien avoir entendu, depuis sa cachette, la terrible parole que Korf avait dite aux élèves rassemblés dans la cour : « Vous n’êtes pas camarade avec un nègre, vous n’êtes pas camarade avec un juif ».
Les Allemands procèdent alors à un appel général à l’aide du fichier des cartes d’alimentation.
Le Père Philippe écrit aux pp. 336-337 : « Pendant cet interminable appel descendent, encadrés d’Allemands, les trois petits Juifs, terrorisés, les yeux fixés à terre, une couverture sous le bras. Ils partent par la porte de la cour. A la sortie de la classe, ils avaient été maltraités et le petit Bonnet dut monter l’escalier en recevant des coups de pied. La vue de leurs trois camarades impressionne beaucoup les élèves. L’appel se poursuit. (…) Puis la porte s’ouvre et le Père Jacques apparaît, suivi de deux Allemands. (…) Il s’avance tranquillement, une valise à la main, son béret brun sur la tête et, avant de descendre les marches, s’arrête, regarde les enfants, souriant, radieux presque, et leur crie joyeusement :
‘Au revoir, les enfants ! A bientôt !’
‘Au revoir, mon Père’, répondent d’un seul cri, élèves et professeurs et, spontanément, tous se mettent à applaudir frénétiquement.
Le chef de la Gestapo se retourne alors furieux et crie :
‘Taisez-vous, taisez-vous, silence !’
Puis l’appel continue.
Vers 12h20, le chef de la Gestapo annonce que l’établissement est fermé et qu’il doit être vidé de tous ses occupants dès 3h de l’après-midi ! Ce qui provoque la stupeur générale.
Presque au même moment, vers 12h30, les Allemands arrêtent Lucien Weil à son domicile, et avec lui sont également arrêtées sa mère et sa sœur. Ils résidaient au 79 rue de France à Fontainebleau, l’appartement est pillé et saccagé.
Pour être complet, il faut ajouter que Charles Ziegler, interprète de la mairie, a été arrêté également, mais il fut relâché quelques jours plus tard, grâce à l’intervention du maire d’Avon, Rémy Dumoncel.
Parcourons rapidement la suite des évènements.
Les trois élèves et les Weil sont d’abord emprisonnés à Melun puis transférés ensemble à Drancy trois jours plus tard, le 18 janvier. Ce sont des gendarmes français qui les ont conduits à Drancy.
Le 3 février suivant, ils font partie du convoi 67 à destination d’Auschwitz. Ce convoi comprenait 1200 personnes environ. A l’arrivée, trois jours plus tard, le 6 février, la grande majorité de ces personnes est immédiatement dirigée vers les chambres à gaz (985 personnes), les trois élèves du Petit Collège et les Weil sont de ce nombre. C’était environ, trois semaines après leur arrestation.
Le 15 janvier, le Père Jacques et Paul Mathéry sont emprisonnés à Fontainebleau. Paul Mathéry y a été torturé par Korf.
Ils y restent jusqu’au 5 mars.
Le lendemain 6 mars, ils sont transférés tous les deux avec une trentaine de détenus au camp de Royallieu, près de Compiègne.
Paul Mathéry sera ensuite déporté à Mauthausen puis à Melk, où il meurt le 2 août 1944. Mme Natta, sa fille, ici présente, donnera un témoignage tout à l’heure.
Le Père Jacques a connu un autre parcours, après la prison de Fontainebleau et le camp de Royallieu, il fut déporté d’abord dans un petit camp de transit à Neue Breme, près de Sarrebruck, puis en Autriche à Mauthausen-Gusen. Il eut la joie de voir la liberté triompher avant de mourir le 2 juin 1945 à Linz.
Frère Robert Arcas