Le 15 janvier 1944, le Père Jacques est emmené à la prison de Fontainebleau où il restera deux mois et demi, du 15 janvier au 5 mars 1944, il ne sera pas torturé. Le Père Jacques est très sensible à la triste réalité des prisons, il dira : « Je ne veux pas partir, il y a trop de malheureux, trop de souffrances ; je le sens, il faut que je reste ! ».
Le 6 mars, il est transféré à Compiègne, au camp de Royallieu. Malgré la misère des camps, le Père Jacques souhaite rester auprès des déportés. Il donne des conférences où tous se pressent pour l’écouter. Un témoin dira : « C’était alors une consolation de nous enrichir en écoutant le Père Jacques… Il y avait autre chose encore : un grand souffle de vérité et cela, je crois, c’était encore plus important que l’exposé lui-même si instructif … ». Au milieu de cet exil, il se lie d’amitiés avec tout homme : français, étranger, communiste, chrétien… Il ne voit que le visage du Christ chez l’autre. Il y rencontre Gaston de Bonneval (1911-1998) avec qui il continuera son chemin de déportation, jusqu’à la libération.
Le 28 mars, il est déporté au camp de Neue Breme, près de Sarrebrück, où les détenus sont condamnés à mourir d’épuisement dans les plus brefs délais. Dans ce camp, c’est un déchaînement de violences inimaginables : procession infernale autour d’un bassin durant de longues heures, frappé de coups, empêché de remonter si vous tombiez dans le bassin ; promenade sur les murets chargé d’une poutre de six mètres sur l’épaule, complétement nu, interdiction de parler… Le Père Jacques commencera son ministère auprès des malades. Devant la saleté repoussante du bloc de l’infirmerie, le Père Jacques obtient l’autorisation de s’en occuper. Il se mettra au service des plus faibles, malgré les coups reçus quotidiennement. Car, le mot infirmerie fait trop d’honneur à la réalité que cachait ce lieu : les déportés, trop faibles, trop malades, trop blessés, étaient laissés à mourir dans d’affreuses conditions. Le Père Jacques se bat pour les soulager un tant soit peu, et leur apporter du réconfort.
À partir du 20 avril 1944, il est déporté aux camps de Mauthausen-Gusen I, en Autriche, jusqu’au 5 mai 1945, date de libération du camp. C’est au camp de Compiègne qu’il a été « estampillé » « Nacht und Nebel », c’est-à-dire « Nuit et brouillard ». Il fait partie des prisonniers qui ne doivent pas revenir. Sa déportation à Mauthausen fait sens : ouvert dès 1938, le camp est déclaré « camp de non-retour » depuis janvier 1941. En 1942, c’est un système concentrationnaire d’une quarantaine de camps qui gravitent autour de Mauthausen : usines souterraines construites par les déportés, carrières de pierres exploitées pour la construction des bâtiments à la gloire du IIIème Reich… Les fonctions sont diverses avec un seul but : la mort par le travail.
La déshumanisation était totale, le travail, épouvantable. Des blocks de 30 à 50 kg de pierres sont montés vers le camp, à dos d’hommes passant par un escalier à 186 marches en étant roués de coups lors de cette ascension. Vers 1942, l’effort de guerre s’orientant vers la production d’armement, le travail des carrières diminue : il est remplacé par la construction des galeries souterraines abritant les usines militaires cachées de l’Allemagne nazie. La création de Gusen II en 1943, réseau souterrain de plus de 8km, entraîne la mort de 9000 prisonniers. On y construit le ME 262, premier avion de chasse à moteur à réaction opérationnel. A Zipf, en 7 mois, naît un réseau souterrain doté d’un ascenseur pour les tests des propulseurs des missiles longue portée V2, dans des conditions toutes aussi meurtrières que Gusen II. Car si le travail n’était pas suffisant à faire mourir ces hommes, la faible quantité des nourritures, la maladie, les tortures, auxquelles ils étaient soumis quotidiennement terminaient l’œuvre de mort de ce système. De nombreuses archives du système de Mauthausen-Gusen nous sont parvenus, malgré la destruction totale de certains sites après la libération : c’est l’un des camp pour lesquels il existe beaucoup d’images d’archives, sauvées et cachées par les déportés travaillant au laboratoire de photographies.
C’est dans cet environnement que le Père Jacques va faire rayonner son apostolat de lumière auprès de ces codétenus. Par son attitude, son calme, son amour de la littérature, les amitiés qu’il noue et les actions faites en faveur des blocs d’infirmerie, il se fait témoin d’espérance au milieu de l’enfer. Si la formule paraît belle, de nombreux témoignages de déportés l’ayant rencontré nous livre des précieux témoignages sur sa présence rayonnante.
À Gusen, dans cet univers de violences quotidiennes, il invite, un soir, ses compagnons à regarder un coucher de soleil pour élever l’esprit. Les livres passent de mains en mains, on aime les discuter avec le Père Jacques. Il donne sans compter sa portion déjà bien maigre. Il célèbre, au péril de sa vie, la messe de Pâques de 1945 non pas une fois, mais trois fois, afin que le plus grand nombre puisse y participer.
Parmi les amitiés qu’il noue durant tout cet itinéraire de déportation, nous pouvons citer Gaston de Bonneval, Roger Heim, arrêté en 1943 et appartenant au réseau Vélite Thermopyles, Jean Cayrol, Louis Deblé qui survivra aussi grâce au Père Jacques, ainsi que tous les étrangers venus se ressourcer auprès de lui.
Voici quelques témoignages d’anciens déportés :
« Nous n’avons jamais cessé de tenir haut l’esprit, de lutter contre cette « dépréciation » spirituelle qui courait le camp ; […] parce que le Père Jacques était là, près de nous, aidant ceux qui n’en pouvaient plus, relevant ceux qui tombaient, donnant même son pain à ceux qui avaient faim […]. Sa présence était la preuve du Dieu Vivant. »
« Notre volonté était de ne pas nous soumettre, de résister, de sauver l’homme ; survivre par la volonté de témoigner qu’on pouvait, par son comportement, demeurer un homme, et le père Jacques nous y a aidé.«
« Quand on rencontrait le Père Jacques, et particulièrement dans un camp de concentration comme cela fut mon cas, on n’avait plus honte d’être un homme. Alors que quand on voyait les SS, on pouvait avoir honte d’être un homme. C’était un homme qui vous réconciliait dans la guerre avec l’espèce humaine«
Le Père Jacques posait un regard de compassion sur tous. À un compagnon qui lui déclare en parlant du paradis : « Ces SS, je pense quand même que nous ne les retrouverons pas là-haut ! » Il répond : « Vous n’en savez rien. Ce sont peut-être des malades et ils sont peut-être irresponsables. »
C’est à Gusen, en mars 1945, sur le carnet d’un camarade qu’il laisse un « testament » : « Par la Croix vers la lumière, Sans effusion de sang, il n’y a pas de Rédemption. Celui qui accomplit la vérité vient à la lumière. »